QUI A PEUR DE L'ART CONTEMPORAIN ?

Une conférence de

Jean ARNAUD


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Contemporain : qui est du même temps que..............................................................


L'art contemporain n'est donc que l'expression créatrice de notre époque sous ses différentes formes et dans ses différents domaines d'application (musique, danse, théâtre, arts plastiques...)

Il semble malgré tout que le terme s'applique exclusivement aux seuls arts plastiques(?) et que, depuis quelques années, nos représentations de l'art se brouillent au point de susciter un débat contradictoire tournant souvent à la cacophonie. La presse spécialisée ou les médias plus généralistes sont les porte-parole de prises de position "militantes" sur ce que doit être ou ne pas être l'art d'aujourd'hui, jusqu'à l'anathème et souvent dans un parfait dialogue de sourds.

Si l'on schématise, on retrouvera de façon quasi-constante dans le camp des "pro" et des "anti" les positions antagonistes suivantes : d'un côté, «l'art contemporain après Marcel Duchamp, c'est "n'importe quoi"» et de l'autre, dans un positionnement symétrique, «l'art contemporain est l'expression de la liberté créatrice et ceux qui vont contre celà sont des réactionnaires».

Peut-on opposer l'art à l'art contemporain?

Chez ses détracteurs, ce dernier serait l'émanation d'un système corrompu, décadent, lobbyiste,... Objet de toutes les suspiscions, il cristallise les ranc¦urs du public et d'une partie de la critique, dans une société où le produit artistique serait perçu tout différemment de l'¦uvre d'art, au sens patrimonial du terme, dans les valeurs qui s'y rattachent.

La beauté ne pourrait-elle être que classique? Le bon goût serait-il réservé à une certaine conception de la modernité qui resterait d'ailleurs à définir? D'un autre côté, tout ce qui est "nouveau" doit-il être considéré comme "intéressant"? Un plasticien qui ne vend ses ¦uvres qu'à l'Etat et vit de subsides institutionnelles est-il un artiste ou un fonctionnaire? Ces questions accompagnent le propos de cette conférence sur certains enjeux de l'art contemporain et les peurs, voire les rejets catégoriques, qu'il engendre. Son objet est de montrer certaines ¦uvres considérées comme des jalons dans l'histoire de la modernité et de parler de leur sens, plutôt que de dresser des procès-verbaux sur les raisons d'exister de l'art contemporain. Examinons ce que les artistes tentent de nous dire plutôt que de leur faire des procès d'intention et ne les confondons pas avec les "commissaires" du monde de l'art.

L' ¦uvre d'art est-elle un produit?

Oui; elle existe dans un marché, ce qui ne l'empêche pas de véhiculer du sens.

Est-elle devenue potentiellement "n'importe quoi"?

Oui ; mais à notre époque où les formes d'expression se sont décloisonnées, où de nouveaux supports et de nouveaux matériaux apparaissent et disparaissent si vite, comment reprocher aux artistes de vouloir les expérimenter? La validité de leurs ¦uvres, qu'on le veuille ou non, ne repose plus sur le fait qu'ils utilisent le pinceau, la toile ou le bronze, et celà depuis bientôt un siècle... Utiliser n'importe quoi n'est pas synonyme de dire n'importe quoi.

Le vrai débat quant-à cette polémique franco-française ne semble donc pas lié à la production des ¦uvres mais plutôt au type de rapports qu'elles entretiennent avec le pouvoir ou l'incompréhension qu'elles suscitent auprès du public (mais de quel(s) public(s)? Mystère...) ; il en résulte une mise en cause de leur validité morale, un échec dû à l'incapacité de ces ¦uvres à relier les membres d'une société autour de valeurs communes. Nous pourrons constater avec le philosophe Yves Michaud que "nous vivons la fin de l'utopie de l'art, c'est à dire la fin d'une croyance dans les pouvoirs de critique, de transfiguration et surtout de communication de l'art. Quand la culture devient un monde séparé destiné au loisir, quand les valeurs de la démocratie remettent en cause la déférence forcée du public pour les goûts de l'élite, quand il ne peut plus y avoir ni prophètes ni images, il reste la comédie de l'avant-gardisme d'Etat s'efforçant en vain de produire administrativement du sens"*

Proposons simplement de redonner la parole à ceux qui ne peuvent s'empêcher de continuer à produire des "choses" dans leur atelier, de replacer l'¦uvre au centre du débat et de ne pas mélanger l'actualité de l'art avec l'histoire de l'art. L'art contemporain n'est pas un grand corps unique, il est à l'image de notre monde, fragmenté et basé sur des valeurs devenues floues. C'est un puzzle d'attitudes et de conceptions très variées qui demandent des éclairages précis, particuliers et pas de vagues considérations générales sur la validité de l'art.

Face au triomphe de la mise en valeur du patrimoine en France, les différents types de rejets dont l'art actuel est victime ne seraient-ils pas finalement que le reflet de la peur de l'autre, du nouveau, du différent et d'une perte de confiance en l'avenir? Picasso, Duchamp, Warhol et Beuys sont morts, vivent les artistes vivants!

 

* Yves Michaud, La crise de l'art contemporain - P.U.F. Paris, 1997

 

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